La der des ders.

Avec un grand-père tué à Verdun en 1916 et l'autre ayant laissé 8 doigts dans une tranchée (sans jeu de mots !), je ne me sens pas très à l'aise devant les discours officiels de la commémoration du centenaire de l'armistice de "la der des ders".

Henri, tué le 7 avril 1916 à Verdun

Camille, 8 doigts laissés sur le champ de bataille = 4 médailles = 1/2 médaille par doigt sacrifié.

Camille, 8 doigts laissés sur le champ de bataille = 4 médailles = 1/2 médaille par doigt sacrifié.

On n'a jamais retrouvé le corps d'Henri. Non seulement c'est un soldat inconnu, mais aussi un soldat perdu. Ce n'était qu'un ouvrier agricole, alors il est sans doute retourné définitivement à la terre.

Camille est revenu avec huit doigts en moins. (pour deux ou trois, il restait encore la première phalange). Peut-on reprendre le métier de boulanger, écrire à nouveau à la plume (SERGENT MAJOR !!!). Bien sûr, tout ça n'est qu'une question de volonté ! Il a repris sa boulangerie et a réussi à écrire très proprement à la plume ! C'était un super grand-père.

Plume Sergent Major

Tout ceci pour dire que je suis un peu critique face à la célébration de la gloire des héros, souvent malgré eux, et encore plus de l'honneur rendu aux brillants généraux "vainqueurs de la Grande Guerre". Bien que je sois obligé de reconnaître qu'ils sont bien vainqueurs, puisqu'ils en sont revenus vivants et (à ma connaissance) avec leurs 10 doigts.

Le nombre de monuments aux morts commémoratifs de la "Grande Guerre" est estimé à environ 36 000. Seuls quelques uns sont des "monuments pacifistes"* qui affichent ouvertement l'opposition à la guerre.

Gentioux (Creuse)

Dardilly (Rhône)

Saint Martin d'Estreaux (Loire)

Clans (Alpes-maritimes)

Château-Arnoux (Alpes de Haute-Provence)

Tournecoupe (Gers)

...etc...

Gentioux. (Creuse) "MAUDITE SOIT LA GUERRE"

Gentioux. (Creuse) "MAUDITE SOIT LA GUERRE"

Ces monuments pacifistes ont souvent été l'objet de critiques négatives. Mais il me semble bien compréhensible que sur le coup (ils on été construits généralement au début des années 20) il était plus "réconfortant" pour les familles endeuillées, de voir honorée dans l'espace public, la mémoire des morts identifiés à des héros plutôt qu'à des victimes de la barbarie de part et d'autre.

Il m'arrive d'imaginer que mes deux grands-pères sont devenus de super copains au paradis. Ils évoquent leur jeunesse à la guerre, les batailles de la Marne, de Verdun, du chemin des Dames (1)

Même au paradis, Camille n'a pas récupéré ses doigts !

Même au paradis, Camille n'a pas récupéré ses doigts !

"Un organisme vivant a une tendance naturelle à préserver sa vie" nous explique Antonio Damasio (2) dans son ouvrage "Spinoza avait raison" publié en 2003. Il ajoute un peu plus loin "Je tiens ces vérités évidentes par elles-mêmes, à savoir que tous les humains sont crées de façon à tendre à préserver leur vie et à rechercher le bonheur"

Encore un peu plus loin ... "La réalité biologique de la préservation de soi donne lieu à la vertu, parce que, selon notre besoin inaliénable de nous maintenir, nous devons nécessairement aider à préserver les autres soi.

Ces courts extraits sortis de leur contexte font un peu, "pensée de doux rêveur", mais si vous avez la curiosité de lire Damasio, vous vous apercevrez immédiatement qu'il n'a rien d'un doux rêveur !

Ce que veut dire Damasio c'est que l'homme, comme tout organisme vivant, animal ou plante, développe naturellement au sein de son organisme biologique des comportements ou plutôt une régulation interne des flux vitaux (température, glycémie, pression sanguine, rythme cardiaque ...) propres à maintenir l'équilibre de son milieu, quelles que soient les contraintes extérieures. C'est ce que l'on appelle l'homéostasie. (Avec pour l'homme, un petit plus qui serait la recherche du bonheur. Et ça c'est une sacrée question à démêler !). C'est, me semble-t-il, la différence essentielle de l'homme avec une palourde ou un pin maritime qui ne semblent pas à priori rechercher spécialement le bonheur. Mais je ne suis pas (mais absolument pas) biologiste.

Cette remarque pour en arriver à la constatation suivante. Si je suis la pensée d'Antonio Damasio (ce que je tente de faire parfois avec certaines difficultés car la lecture de son ouvrage est un peu plus complexe que "Mickey Parade" et comporte beaucoup moins d'images) j'en arrive à penser que "les grands soldats de 14-18" à savoir les généraux, promus maréchaux après la guerre, qui "gagnèrent" des batailles au prix de centaines de milliers de morts avaient quelque part un bug dans les circuits neuronaux qui bloquait leur capacité naturelle à "préserver les autres soi" .

Par contre leur capacité à se préserver eux-mêmes reste intacte.

Joffre mort à 79 ans dans son lit.

Foch mort à 78 ans dans son lit.

Nivelle mort à 68 ans dans son lit.

Pétain mort à 95 ans dans son lit à l'île d'Yeu où il était assigné à résidence.

Conclusion: 100% de ces grands chefs de guerre sont morts dans leur lit ce qui prouve mathématiquement que les lits son plus dangereux que les tranchées puisque 1 397 800 soldats on été tués au front soit seulement 27% de la classe d'âge 18 - 27 ans.

Correspondance: aristogenes@aliceadsl.fr

(1) Bataille du Chemin des Dames: (avril - octobre 1917). dirigée par le général Nivelle. Environ 200 000 Français tués. Sur 16 500 tirailleurs sénégalais engagés, plus de 7000 sont tués (40 à 45%).

(2) António Rosa Damásio, médecin, professeur de neurologie, neurosciences et psychologie. Né à Lisbonne (1944). Professeur à l'université de Californie du sud.

Et un petit cadeau bonus que certains ont eu en avant première le 11 novembre.

Commémoration.