Aporie.

Freine !

Une information du 13 novembre m'interpelle:

13 364 scientifiques de 184 pays signent un manifeste repris par le journal "Le Monde", face au risque de déstabilisation de la planète.

"L'humanité ne fait pas ce qui devrait être entrepris de manière urgente pour sauvegarder la biosphère menacée." jugent les auteurs de cette déclaration. 

"Bientôt il sera trop tard pour inverser cette tendance dangereuse".

 "Si nous voulons éviter de grandes misères humaines, il est indispensable d’opérer un changement profond dans notre gestion de la Terre et de la vie qu'elle recèle"

Et là un événement lointain me revient en mémoire. Un matin de février (fin des années 70 ?) dans la station de ski de La Mongie, dans les Hautes Pyrénées. Grand beau temps, il a neigé durant la nuit. Les dameuses ont préparé les pistes. Avec un copain bon skieur (presque aussi bon que moi !!!) nous sommes les premiers à l'ouverture du télésiège d'une piste rouge. Nous admirons le beau ruban blanc laissé dans la poudreuse par le passage des engins.

Lequel de nous deux a eu tout à coup une idée stupide ? (sûrement lui !!!) 

"Tant qu'il n'y a personne, si nous descendions tout schuss cette piste pour voir l'effet que ça fait ?"

Quelques amis qui suivaient, à qui nous présentons notre projet, nous prennent pour des dingues et refusent de tenter l'expérience. 

Nous, nous ne sommes pas des mauviettes !

Et nous voilà lancés. 

Ce souvenir me semble tout à coup être une belle métaphore de la situation de l'économie planétaire mondialisée. 

Bien sûr au bout de quelques secondes je me rends compte que j'ai atteint une telle vitesse que je ne maîtrise plus rien. 

"Si je freine, j'me gaufre !"

Mais à cette vitesse, je n'ai vraiment pas envie de me gaufrer ! 

Je passe un "mur", un deuxième ... arrive un "faux plat" (faux plat mais vraie pente !). Je tente une légère courbe sur la gauche pour tenter de freiner un peu. Et là j'entends "ATTENTION !". Mon copain Pierrot (je ne vous avais pas dit qu'il s'appelle Pierrot ce con ?) descendait en suivant ma trace à quelques centimètres ! 

Il accroche mes skis. 

Je vous épargne la suite. En résumé la plus belle gamelle de ma carrière commencée sous la IVe République au moment où à Moscou se tenait le fameux "XXe Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique" qui amorçait la "déstalinisation". 

Notre économie mondiale est devenue aussi folle et dangereuse que ma descente à ski, sauf que moi, je ne mettais en danger que ma personne et éventuellement celle de (ce con de) Pierrot.

De nos jours c'est l'économie (organisation des activités de production, distribution et consommation des richesses) qui gouverne le monde. Et là, un emballement de l'économie sur une pente trop glissante, met en danger non seulement l'humanité, mais également la planète.  

("Richesses": notion à définir, mais  si je me lance vous allez faire la gueule. On est dans un blog qui se veut humoristique.)

D'un côté, les scientifiques nous disent qu'il faut sauver la planète, et les économistes qu'il faut sauver ... l'économie, c'est à dire premièrement les activités de production, donc toujours relancer la croissance.

Ne serions nous pas ici en présence de ce qu'Aristote aurait appelé une "aporie" (du grec "poreia" = route, cheminement,  avec le "a" privatif, donc une aporie est une impasse) (placez le dans la conversation, ça peut être un jeu rigolo. *) 

Pour que la croissance soit continue, il faut nécessairement que la production de richesses soit en constante croissance. 

Mais si la production de richesses est croissante, il faut que ces richesses (biens ou services)  soient consommés, sinon c'est la crise ! 

Par conséquent tous les produits doivent devenir des produits de consommation, c'est à dire des produits que l'on ne peut pas s'approprier dans la durée. (Exemple: un gâteau. - moi j'aime bien le mille feuilles mais la démonstration fonctionne aussi avec un éclair au chocolat ou un baba au rhum -  On l'achète, on le mange, et on doit en acheter un autre. Avec un pain permanent, la boulangerie fermerait !!! 

 Le pain ou le gâteau, sont par nature des produits de consommation. mais pour une automobile, un canapé, un téléviseur, ... 

Heureusement les penseurs de l'économie de marché ont développé des outils permettant de transformer un lave linge en produit de consommation. Par exemple:

- L'obsolescence programmée. Notre objet est fabriqué pour avoir une durée de vie limitée. Il est irréparable ou la réparation coûte plus cher que le nouveau modèle vachement plus chouette. 

- la publicité: Dans les rues, au bord des routes, à la télé, à la radio, dans les journaux ... un vrai bourrage de crâne ! 

Maillot Foot Girondins 1941 et 2017

Maillots cyclistes, Tour de France (équipe de Franc 1938) et maillots actuel équipe de marque.

La pub est partout. Les sportifs sont transformés en affiches publicitaires.

-Bientôt le profs ?

-Non, tu crois ?

L'homo sapiens dans sa configuration actuelle est devenu un "homo sapiens consommaturensis" (pardon Jacques, pour mon latin "un peu" approximatif). 

Consommez, consommez, ne laissez pas votre bel argent (pour ceux qui en ont encore) chez l'Ecureuil de la Caisse d'Epargne mais utilisez le ! 

Il y a quelques jours j'ai entendu dire qu'en "haut lieu" on réfléchissait sur la possibilité de faire payer l'entrée aux touristes qui visitent Notre Dame de Paris et quelques autres belles cathédrales françaises. Une autre proposition consistait à faire sponsoriser (on dit faire du "mécénat d'entreprise" pour les lieux culturels, c'est plus chic) l'entretien de ces joyaux de notre patrimoine par des entreprises privées contre de la publicité. 

Je suis certain que d'ici peu on pourra voir la scène suivante à notre Dame. 

Mais non, je vous assure, ce n'est pas moi qui déconne ! 

* Le jeu du mot à placer. Avant une rencontre entre amis vous proposez à votre conjoint, ou quelqu'un de proche,  un petit jeu qui consiste à placer un mot improbable dans la conversation au cours de la soirée. Par exemple le mot "aporie". Le premier qui réussit à le placer à bon escient a gagné (enjeu à définir à l'avance) 

J'ai longtemps fait ce jeu avec le mot "prépuce". C'est assez drôle. 

Correspondance: aristogènes@aliceadsl.fr