Facebook plus fort que Marat

La souffrance de la sous-France.

"L'ami du peuple"  : Rappel historique

Jean-Paul Marat est né en 1743 en Suisse sur le bord du lac de Neuchatel, à Boudry d'un père capucin (1) défroqué et d'une mère calviniste (à environ 30 km de La Chaux de Fonds, lieu de naissance de l'architecte Le Corbusier, mais on s'en fout, ça n'a aucun rapport avec notre propos du jour !). 

 A 16 ans  il quitte la Suisse pour Bordeaux où il devient précepteur du fils de Paul Nairac, un armateur négrier protestant. (On s'en fout aussi ? Bon, OK) Médecin Physicien, journaliste il est surtout connu pour avoir été élu député Montagnard de Paris à la Convention (1ère République) en septembre 1792 et par ses appels à la violence en particulier contre les Girondins. 

Il est assassiné le 13 juillet 1793 par Charlotte Corday, partisane des Girondins. 

Bref, l'ami Jean-Paul était un tribun, rassembleur des petites gens ("sans culottes", les ancêtres des "sans dents"), organisateur de manifs au moyen de son journal "L'ami du Peuple" dont le titre lui fut attribué comme surnom. 

Aujourd'hui, plus besoin de journaux ni de nouveau Marat comme  organisateur et coordinateur des manifestations populaires. Nous avons beaucoup mieux:

Facebook !

Charlotte Corday aurait pu avoir une belle carrière de "Serial killeuse" (je crois que l'expression existe?). Dans ce cas, Marat, sa première victime, aurait pu être désigné comme étant le "premier de Corday". Mais comme elle a été arrêtée tout de suite après son premier meurtre, sa carrière a pris fin à peine commencée. Donc ce pauvre Marat a été à la fois, premier et dernier de Corday ce qui rajoute un peu de mornitude à la tristesse de ce fait divers sanglant.(2)

Vous avez compris que ce rappel historique très peu académique m'a été inspiré par les manifestations de "gilets jaunes". Sont-ils les "sans culottes" du XXIè siècle ?

Qui sont les "gilets jaunes"? Des habitants des "quartiers" à la périphérie des grandes villes ? des SDF? des immigrés déracinés qui vivent dans des bidonvilles insalubres ? Non. Ce sont des travailleurs payés au SMIC, des retraités, de petits artisans, des travailleurs à l'emploi précaire, des petits commerçants ... des milliers de gens très loin des "premiers de cordée" objets de l'attention du Président de la République. Ils forment une sorte de "sous-France" sociale. 

Qu'exprime donc ce soulèvement d'une partie de la société ? 

A coup sûr, une souffrance. Certains commentateurs ne se privent pas de faire remarquer que la situation de ce peuple en colère, est bien moins dramatique que celle du peuple syrien, des africains qui tentent au risque de leur vie sur des embarcations de fortune une traversée périlleuse de la Méditerranée, ...etc ... 

Mais on ne peut avoir ce type de réflexion que lorsqu'on est soi-même dans une situation confortable. Quand on ressent une souffrance, la seule réalité est la souffrance que l'on ressent. 

Dans notre société de consommation "post moderne" comme l'appellent certains observateurs, on nous inculque insidieusement que le bonheur est lié  à une capacité de consommer toujours plus grande. Cette conception du bonheur n'est pas innée, mais elle nous est présentée quotidiennement par les opérations marketing, les affiches, les spots publicitaires qui envahissent notre espace physique et notre espace mental. Vous résistez à un "Kinder Bueno" vous ? Moi, j'ai du mal !!!  Pour devenir des citoyens consommateur heureux, les plus modestes désirent donc naturellement une augmentation de leur pouvoir d'achat, d'autant plus qu'ils travaillent, donc qu'ils produisent de la richesse, mais que leur salaire, amputé par des taxes et impôts multiples ne leur permet pas d'accéder à la consommation de masse. D'où un sentiment de frustration organisé par le système économique lui même ! 

Imaginez que vous êtes assis sur un banc public et que vous lisez un journal sur lequel on vous explique qu'il faut manger 5 fruits et légumes par jour. A côté de vous un gamin BCBG de 5 ans accompagné de sa grand-mère en manteau de vison,(je vais la dénoncer à BB)  mange un Kinder Bueno en vous regardant d'un air narquois. Quel sentiment vous vient aussitôt ? 

Ne vous en faites pas, j'aurais répondu comme vous ! 

Maintenant il me faut conclure, sinon vous allez penser que j'écris un article sponsorisé par Kinder Bueno ! 

Sur le plan économique: Il me semble que beaucoup de participants à ce mouvement de révolte ne perçoivent pas vraiment que la cause profonde de leur désarroi est le système économique (néo libéralisme) qui domine le monde pratiquement sans partage depuis près de trente ans. Leur revendication est prioritairement de recevoir une plus grande part du gâteau (de la richesse produite) sans changer le système. Cela me fait penser à une société dans laquelle la vitesse serait illimitée sur aucune route, donc les accidents mortels seraient très nombreux, et où les survivants manifesteraient pour l'amélioration du revêtement des chaussées !               

Sur le plan politique: Il suffirait donc de changer les personnes à la tête de l'Etat pour que "tout s'arrange". Euh ... ? 

... Ou alors, que la gestion du pays soit soumise à un contrôle des citoyens par un système de démocratie directe. A priori, voilà une idée qui semble bonne. (Mais à  priori.) 

Sauf que ... pour avoir une réflexion un peu argumentée et s'élever un peu au dessus de la discussion de bistrot il ne serait peut-être pas superflu d'avoir en mémoire quelques textes de Platon (La République), Rousseau (Du Contart Social) ou Simone Weil (L'enracinement ou prélude à une déclaration des devoirs envers l'être humain) , et des centaines d'autres. 

Arrivé à ce point je crois que j'ai complètement perdu le fil humoristique de mon récit !!!

Que nous reste-t-il d'un peu drôle à ajouter ? 

Facebook ! Ah oui, dernière réflexion. Et si c'était Facebook, ou plus généralement la technologie des "réseaux sociaux" qui mettait fin à notre démocratie représentative deux fois centenaire? Facebook, plus fort que Marat et que tous les révolutionnaires des siècles passés ! 

Yuval Noah Harari l'a déjà dit dans "Homo deus. Une brève histoire de l'avenir" ? 

Peut être qu'il est même allé beaucoup plus loin que moi, mais lui il ne fait pas de jolis dessins avec plein de couleurs !!! 

Et vlan ! 

Correspondance: aristogenes@aliceadsl.fr

(1) Capucins:  ou "Frères mineurs capucins". Ordre de moines mendiants suivant la règle de saint François d'Assise

(2) Mornitude: Ce mot existe, j'en ai la preuve: je l'utilise !!!