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Ampélosophisme

Conte philosophique.

2 Juin 2016 , Rédigé par Dominikos

Le bus de Topomalakes.

S'il existe au monde un pays où les habitants ont tout pour être heureux, c'est bien la principauté de Topomalakes. Petit Etat montagnard indépendant depuis le XIème siècle, il est enclavé entre le Binioukistan et la Molardavie, et occupe une vallée fertile drainée par l'Urinapapa dont les eaux aux reflets dorés irriguent les cultures en terrasses de la base des versants.  

La même dynastie de princes, éclairés, comme les casinos de Las Vegas, règne avec sagesse sur cette vallée riante dont les vaches rousses ont inspiré il y a près d'un siècle le nom d'un célèbre fromage fondu en portions.

Pendant près de mille ans la vie s'est déroulée paisiblement dans ce petit paradis, à l'écart des conflits qui ont agité l'histoire de l'humanité, jusqu'au jour où le modernisme est arrivé au sein de la montagne heureuse. Le prince Ratp 1er qui avait voyagé dans le vaste monde eut l'idée, afin de faciliter les déplacements dans son pays, d'y introduire un moyen de transport collectif: l'autobus.

Mais au cours de son périple hors de la principauté, Ratp 1er avait aussi découvert un mode de gouvernement totalement inconnu à Topomalakes: la démocratie. Dans les circonvolutions de son auguste cerveau germa alors une idée qu'il qualifia lui même de "géniale". Associer la révolution technologique représentée par l'autobus à un magnifique progès politico-social grâce à l'adoption de la noble pratique démocratique, en faisant élire par le peuple pour une durée de 5 ans, le chauffeur de l'autobus ! Seul un prince éclairé pouvait avoir une idée aussi brillante.

On fit appel à des professeurs étrangers pour animer l'école (E.N.A. Ecole Nationale de l'Autobus) qui fut fondée pour former les futurs candidats au poste de chauffeur. Outre le prestige de la fonction, de nombreux avantages furent attribués aux hardis pilotes. Ainsi, au moins un an avant chaque élection une farouche campagne électorale au cours de laquelle s'affrontaient les candidats au poste tant convoité, animait la vie publique de la petite principauté.  

Conte philosophique.

Au cours de cette campagne les promesses des candidats étaient toutes plus alléchantes les unes que les autres, chacun surenchérissant sur ses concurrents au point d'en arriver parfois à des propositions extravagantes. Puis venait l'élection ("Malakia" dans la langue locale -1-). La désignation du nouveau chauffeur donnait lieu à une période de liesse populaire au cours de laquelle les sujets du prince ("Vré malakes" dans la langue locale -1-) devenus des citoyens à l'instant du vote, se félicitaient de la pertinence de leur choix et rêvaient déjà de l'avenir radieux des transports collectifs dans leur douce vallée.

Mais très vite ils s'apercevaient que le nouveau chauffeur ne tenait pas plus ses promesses faites en tant que candidat, que le précédent n'avait tenu les siennes cinq ans auparavant. La méfiance, envers le nouveau pilote, puis le rejet et parfois la haine de cet affabulateur qui profitait de tous les avantages liés à la fonction sans rendre pour autant les services promis, grandissait de jour en jour ... jusqu'à la nouvelle élection où de nouveaux candidats (et parfois les mêmes que cinq ans auparavant ! ) promettaient ce qu'ils savaient pertinemment impossible à tenir.  

Alors, des manifestations, des blocages de routes par les bergers et leurs troupeaux, des grèves de petits transporteurs à dos d'ânes, animaient la vie jusque là paisible de la vallée.   

Et le même scénario se reproduisait pour un lustre de plus. (2)

Le lecteur aura compris que les "Vré malakes" étaient un peu mous de la coiffe. Ils se laissaient abuser à chaque élection, et leur faible capacité de réflexion ne leur permettait pas de voir que le choix du chauffeur avait une influence négligeable sur l'amélioration des transports dans la principauté. Mais toi, lecteur éclairé, fin penseur, plus féru de logique qu'Euclide, plus raisonneur que Socrate, plus érudit que le Petit Robert, plus futé qu'un renard, (3) tu as bien compris que les seules mesures à prendre à Topomalakes étaient:

- de modifier radicalement l'infrastructure routière et remplaçant les pistes à ânes par de vraies routes asphaltées.

- de changer le vieux bus à bout de souffle acheté d'occasion par le prince à un garagiste peu scrupuleux pour le remplacer par un véhicule neuf entièrement repensé pour le bien être des citoyens passagers.

C'est quand on constate la naiveté de certains peuples lointains que l'on mesure la chance que nous avons de vivre au pays de Montesquieu, Voltaire, Diderot, Rousseau, bref, au pays des Lumières .

 

Conte philosophique.

correspondance: aristogenes@aliceadsl.fr

 

(1)  Petit gag pour faire sourire les hellènophones.

(2) Rappel pour les mous de la coiffe: un lustre est une période de 5 ans.

(3) Il faut bien de temps en temps flatter le lecteur !

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