Éloge du naturisme

LARVATUS PRODEO

En cette période de carnaval, il m'a semblé évident de mener une courte réflexion sur la question du masque, d'où le choix du titre de mon article emprunté à la devise latine adoptée par René Descartes (1596 - 1650) "Larvatus prodeo" (que l'on traduit habituellement par "J'avance masqué") 

Si Descartes reconnaissait "avancer masqué" pour éviter d'être comme Galilée attaqué par l'Eglise dont l'influence était encore redoutable au début du XVIIè siècle, combien de "leaders d'opinion" actuels, ou de personnes se prétendant telles, oseraient aujourd'hui reconnaître qu'ils portent un masque ? 

Combien de fois avons-nous entendu dire au cours des dernières années, à propos de discours politiques, français ou étrangers: "Tout ça n'est qu'une mascarade !"

Exemple: Il y a quelques jours la presse annonce le "désengagement" de la direction de la société américaine FORD, de son usine de Blanquefort dans la banlieue bordelaise. Immédiatement, on assiste à une vive réaction des employés (jusque là rien d'anormal) mais aussi des politiques locaux et nationaux. 

Que les employés de Ford aient plus de connaissances techniques que de connaissances en économie, cela peut se concevoir, et qu'ils soient abasourdis face au "désengagement" de la direction alors que la société a fait en 2017, 7,6 milliards d'Euros de bénéfices (+65% en un an) se comprend aisément. Mais ce qui m'interpelle, ce sont les réactions des politiques qui se cachent derrière un masque, de surprise, d'étonnement, de compassion envers les malheureux salariés qui risquent le licenciement.  

N'ont ils jamais entendu parler de l'E.V.A. (Economic Value Added ou valeur économique ajoutée) qui est en économie libérale, un outil qui permet de mesurer la rentabilité d'une entreprise. L'E.V.A permet de montrer que "l'entreprise est dite profitable, non pas si elle dégage simplement un profit, mais si elle dégage un profit supérieur à la rémunération moyenne attendue des capitaux placés sur les marchés financiers." ("Le capitalisme paradoxant" Vincent de Gaulejac - Fabienne Hanique -Seuil- 2015). Quand j'entends des gens qui sont passés par l'E.N.A. qui sont Inspecteurs des Finances, qui occupent de hautes fonctions politiques, faire semblant d'être offusqués par la décision de la direction de Ford, je suis saisi par quelques doutes concernant leur sincérité puisque globalement ils sont favorables au système économique qui entraîne cette situation. Ou alors s'ils sont vraiment ignorants  des rouages du fonctionnement de l'économie actuelle, comment en sont-ils arrivés au poste qu'ils occupent ? 

- Ils ont été élus ? 

- Alors les électeurs ne sont pas très bien informés non plus! 

Faut-il revoir aussi l'enseignement de l'éducation civique ? 

Bref, tout ça n'est pas très drôle ! 

Là, je sens que je m'énerve, et on ne pense pas clairement sous l'effet de la colère.  

Restons zen. 

Je viens de relire pour la  énième fois "Jacques le Fataliste et son maître" de Diderot. 

Pourquoi cette fascination pour cet ouvrage ? Je n'en sais rien. Peut-être parce que Jacques qui consulte souvent sa gourde de vin pour y puiser (également) des oracles, déclare "Est-ce que vous ne vous êtes pas aperçu que j'étais hydrophobe ?" (donc un véritable ampélosophsite !)

Un passage du dialogue entre Jacques et son maître m'a toujours particulièrement interpellé. 

Jacques. - [...] Mon maître, on passe les trois quarts de sa vie à vouloir, sans faire.

Le Maître. - Il est vrai.

Jacques. - Et à faire sans vouloir. 

Passerait-on vraiment les trois quarts de sa vie à vouloir sans faire et à faire sans vouloir ? Je me suis posé la question vers 14 ans lors de ma première lecture de "Jacques le Fataliste", bouquin découvert dans la bibliothèque familiale. 

Avais-je envie de faire des études dans un lycée technique comme c'était le cas ? Pas vraiment, mais le choix était entre faire des études techniques ou travailler à l'atelier de menuiserie avec papa. Donc, va pour les études techniques ! Quelques années plus tard, j'ai envie de faire des études d'architecture. Mais en même temps, nécessité de financer moi même mes études. Donc trouver un cursus que l'on peut suivre sans assister aux cours, simplement en lisant des bouquins dans son coin et en ayant un emploi à côté. Bilan, je deviens prof d'histoire-géo.

Bof, ce n'est pas mal non plus ! Je vais donc mettre le masque de prof. 

A part quelques artistes quelques scientifiques brillants qui s'accrochent à leur passion, il me semble bien que la remarque de Jacques s'applique à une bonne partie de la population. Nous portons le masque de notre profession, de notre statut social ou familial (masque de père ou de mère, de fils ou de fille  ... d'enfant de bourgeois ou de prolétaire ... )  

Nous sommes tous aussi masqués que le concombre ! 

- Rassure moi,  Aristogènes n'est pas masqué ? 

- Hélas, je crains qu'il le soit aussi. 

- Mais alors, peut-on quand même rêver d'une société dans laquelle les gens ne porteraient pas de masques ? 

- Oui, une société naturiste ... peut-être ? 

Correspondance: aristogenes@aliceadsl.fr