Syneisaktisme
On regarde, mais on ne touche pas !
L'idée m'est venue dans l'abbatiale de Fontevraud devant le gisant d'Aliénor d'Aquitaine.
La contemplation de ces quatre gisants, deux hommes et deux femmes, me fait soudain penser à Robert d'Arbrissel.
J'en vois certains qui se disent: "mais d'où Dominikos nous sort-il donc ce nouveau petit Robert ?"
C'est tout simplement que Robert d'Arbrissel a fondé l'abbaye de Fontevraud en 1101, donc penser à lui en ce lieu n'a rien d'extraordinaire, non ?
Quelques détails: Robert d'Arbrissel (né vers 1045 ... 1047...1055 ... - bref on n'en sait rien - et mort vers 1117), était un moine ermite, fils de prêtre (il y avait encore pas mal de prêtres mariés ou vivant en couple au XIème siècle) pratiquant un ascétisme tout à fait particulier puisqu'il prônait la pratique du synéisaktisme.
Là un petit dessin s'impose.
Le synéisaktisme est une pratique ascétique qui consiste à vivre en cohabitation avec une personne de sexe opposé sans jamais avoir de relations charnelles et dont les origines remontent aux premiers siècles du christianisme.
Bien qu'ermite, donc solitaire, son influence fut telle qu'il se trouva bientôt suivi par une troupe d'anachorètes qui se groupèrent autour de lui en une communauté de cénobites. (Vous conviendrez sans doute que former une communauté d'anachorètes cénobites, ça relève tout à fait de l'oxymore !!!)
Les disciples s'organisèrent autour de Robert en appliquant les principes du synéisaktisme, donc communautés d'hommes et de femmes qui vivaient côte à côte sans pour autant organiser des mâtines polissonnes ou des vêpres crapuleuses. D'ailleurs le monastère des hommes était séparé du monastère des femmes. Faudrait quand même pas aller trop loin dans la tentation !!! Suivant la volonté du fondateur, c'est une femme qui dirige l'ensemble monastique ce qui a fait considérer par certains Robert d'Arbrissel, comme un des précurseurs du féminisme, ... mais là je trouve qu'ils poussent peut-être le goupillon un peu loin.
Robert d'Arbrissel était en son temps considéré comme un saint par la plupart de ses proches, mais ses pratiques jugées par l'Eglise parfois "peu orthodoxes" lui on fait rater la canonisation. Il a quand même eu un lot de consolation: le titre de "Bienheureux".
Mais mon but n'est pas vraiment de vous parler de Robert d'Arbrissel. Ces quelques lignes servent seulement à mieux comprendre la suite de ma pensée.
En fait, ma réfexion devant le gisant d'Alénor était: Notre société ne serait elle pas devenue complètement synéisaktiste?
En effet, nous sommes en permanence soumis à la tentation, mais si nous n'y succombons pas c'est généralement beaucoup plus à cause du manque de moyens d'y succomber que le résultat d'un effort sur nous même, car nous ne sommes pas tous, riches, beaux, jeunes, intelligents et sportifs. (Là, je ne parle pas pour moi qui ai été particulièrement gâté par la nature !*)
Nous sommes donc tentés en permanence, mais en même temps mis dans l'impossibilité de succomber à la tentation. Une société ainsi organisée ne court elle pas à sa perte ? Ne risque t-elle pas à tout moment, l'explosion, la révolte des catégories populaires les plus tenues à l'écart des objets présentés à la tentation, la révolution ?
Pas du tout ! Les dirigeants de nos sociétés contemporaines ont peut-être parfois des orientations morales discutables, mais ce ne sont pas des imbéciles. Ils ont trouvé la parade à la révolte populaire. Ils ont créé des espaces de rêve pour ceux qui ne sont pas obligatoirement riches, pas forcément beaux, pas nécessairement jeunes et seulement sportifs de gradins. Oh, ils n'ont pas eu beaucoup de peine à la trouver car elle existe depuis plus de 2000 ans !
Correspondance: aristogenes@aliceadsl.fr
* Oui, je sais, c'est très injuste.
(Cet article était juste ma façon de fêter l'inauguration du nouveau stade de Bordeaux.)